NatureL’idée d’une connexion particulière entre l’Homme et la nature ne date pas d’hier. Déjà, le cosmos, les astres, cette correspondance secrète entre l’homme et les mouvements cosmiques, c’est le fondement de l’astrologie. Et les horoscopes figurent encore aujourd’hui dans de nombreux magazines. Preuve qu’il existe encore du monde pour les lire.

Mais cette correspondance entre l’homme et la nature, c’est aussi, bien sûr, notre adaptation et transformation en fonction du climat. Les habitants du désert ne vivent pas pareil que les tribus des montagnes ou les peuples des forêts. Les conditions climatiques nous forgent.

Mais l’évidence aujourd’hui, c’est aussi que nous avons appris à ne plus être complètement soumis aux lois de la nature. Quand il fait trop chaud, on met la clim, quand il fait trop froid on met le chauffage. Quand il fait nuit, on allume la lumière électrique. Comme si nous étions devenus autonomes à l’égard des exigences de la nature, ou presque.

Mais si la vie quotidienne nous a permis de nous passer de la nature, inversement, la nature a été revalorisée comme une source spéciale pour se retrouver soi-même. C’est ce paradoxe qu’analyse Hartmut Rosa dans sa recherche sur ce qui fait la « résonance » de notre relation au monde.

Ceci correspond à ce besoin que nous ressentons de « retourner dans la nature », pour se reconnecter et revivre, au grand air, dans la forêt, au bord de la rivière. Mais c’est aussi entreprendre une randonnée en montagne, une traversée en mer, comme pour surmonter une crise existentielle. Cet été sera aussi celui des expéditions et des randonnées pendant ces vacances loin du quotidien du travail et des bureaux climatisés.

C’est comme vouloir trouver des réponses dans la nature « intacte », qui nous feront entrer en contact avec notre « voix intérieure ».

Comment ne pas y voir cette correspondance secrète, une « résonance » (voici le mot), entre nature intérieure et nature extérieure. C’est en entendant « l’appel du large » de la nature, et en y cédant, que l’on découvre son identité. Les films, les offres touristiques, les beaux livres, tous nous encouragent dans cette croyance, vantant « l’appel de la montagne », du désert, etc.

Mais voilà, Hartmut Rosa vient casser le mythe.

Ah bon ?

Car cette nature que nous aimons retrouver, elle n’a pas grand-chose à voir avec celle que vit le marin pêcheur ou le montagnard indigène. Elle est une nature que nous aimons aussi reconstituer sur notre balcon avec des pots de fleurs ou dans notre jardin, en mettant un peu de verdure dans notre vie. C’est aussi cette envie de nature reconstituée qui nous fait apprécier les champignons, les oiseaux, les étoiles, le chant des baleines. Sans parler des attraits modernes pour les thérapies naturelles, les essences essentielles, etc.

La technique aide aussi : « Les skieurs alpins accèdent par des téléphériques ultramodernes à des pistes damées à grand frais et enneigées par des canons à neige qu’ils descendent avec casques, vêtements thermiques, skis et chaussures dont les matériaux ont été conçus par la Nasa et, en même temps, ils ont le sentiment d’entrer en contact immédiat et intense avec la montagne, le vent, le froid, le soleil, la neige et la roche ».

En fait, cette « nature » ainsi domestiquée fait l’objet de ce que Hartmut Rosa appelle « une appropriation techno-productiviste » qui, in fine, ne « résonne » plus du tout. A partir du moment où nous pouvons déterminer nous-mêmes comment nous voulons être et comment la nature doit être pour nous satisfaire, la nature, la vraie, n’a plus rien à nous dire.

Voilà l’origine de « la grande angoisse écologique de la modernité » : la menace de voir la nature se réduire au silence. D’où l’appel collectif des écologistes à entendre la nature nous parler à nouveau, qu’elle fasse réentendre sa voix. Comme si la nature nous avait punis de l’avoir « détruite » en ne nous parlant plus. Mais, en fait, c’est nous qui avons tout fait pour ne plus l’entendre. C’est notre action sur l’environnement qui manifeste un rapport muet au monde.

La culture moderne oscille finalement entre deux rapports opposés à la nature : D’une part, la domination sur le plan pratique qui permet la maîtrise intellectuelle, la transformation technique, l’exploitation économique, de la nature envisagée comme ressource ; Et d’autre part, la recherche dans la nature d’une sphère primordiale de résonance. C’est ce deuxième rapport qui est recherché dans des moments « extraquotidiens », après la journée de travail, le dimanche, et pendant les vacances, tous ces moments où « nous vivons des moments idéalisés d’affection passive » : « Nous éprouvons la nature comme une surface de projection et d’inspiration donnant corps au sentiment du beau et, surtout, du sublime, sans établir avec elle un rapport de confrontation responsive ».

Dans ce rapport, l’on cherche à contrôler la nature, à « vaincre les montagnes », « franchir les mers à la nage », traverser les déserts », « triompher des pistes », dans une approche instrumentale, qui empêche exactement toute « résonance ».

Le rapport à la nature passe de « l’exploitation productiviste » à la « réception esthético-contemplative », sans vraie conciliation possible.

Mais elle reste la plupart du temps muette.

Posted in ,

Laisser un commentaire