« L’éthique freine l’innovation scientifique et le progrès ».
Qui a dit ça ?
On l’a appelé le « docteur Frankenstein chinois », mais son vrai nom c’est He Jiankui. Il est vraiment chinois, et il a passé trois ans en prison en Chine, entre 2019 et 2022.
Sa faute ? La modification de l’ADN d’embryons humains, en 2018, pour les rendre résistants au VIH (le père était porteur). Cela a donné naissance à trois enfants, dont deux jumelles.
Le tabou qu’il a transgressé : procéder à des modifications humaines susceptibles de se propager aux générations suivantes.
Depuis qu’il est sorti de prison, le chercheur est plus déterminé que jamais et veut poursuivre ses activités dans son laboratoire en Chine et au Texas. Il communique abondamment sur X, en blouse blanche, et revendique le Prix Nobel pour tout ce qu’il va permettre, en gros sauver l’humanité et éradiquer toute maladie pour les générations futures. Car il en est convaincu, "L’édition génétique des embryons sera aussi bientôt courante que posséder un iPhone".
Mais alors, jusqu’où doit ou non aller la science ? Et qui doit fixer les limites ?
He Jiankui a déjà répondu.
Un autre domaine est concerné, celui des neurotechnologies, en plein boom.
Les institutions internationales donnent aussi leur avis, comme l’OCDE et l’Unesco.
Le Monde consacrait fin juin un dossier au sujet.
On y voit bien deux approches :
Celle de l’OCDE est axée sur les entreprises, et la prise en compte de l’éthique dans la conception du produit. Cela vise à encadrer la mise sur le marché des produits (tout ce que l’on va brancher sur le cerveau, ou autres outils). Après, c’est le marché qui décide. Un des gagnants potentiels est Elon Musk, avec sa société Neuralink, qui développe des implants destinés à augmenter les capacités humaines. Il a levé 650 millions de dollars pour créer un nouvel implant. Le premier patient, un jeune paralysé de 29 ans, a déjà témoigné à la presse qu’il était très fier et satisfait car cela lui a permis d’avoir atteint un haut niveau sur le jeu vidéo Super Mario, en jouant par la pensée.
Ce témoignage a troublé certains scientifiques, considérant qu’on était loin de rétablir certaines fonctions chez des patients souffrant d’un handicap, ou de la maladie de Parkinson, et que cela pouvait jeter le discrédit sur les recherches scientifiques plus sérieuses. Mais le marché a décidé.
Une deuxième approche est celle de l’Unesco, qui concerne les conséquences de la technologie sur les droits humains fondamentaux, le droit à la dignité, synonyme d’autonomie, d’autodétermination, de liberté de pensée, de confidentialité. Exemple : si les lunettes sont capables de surveiller notre fatigue cérébrale, cela peut être une bonne prévention personnelle ; Mais si cela permet à mon entreprise de me surveiller pour améliorer ma productivité, c’est autre chose. A partir du moment où ces neurotechnologies servent à améliorer ou surveiller la performance humaine au travail et dans l’entreprise, les questions éthiques abordées par l’Unesco entrent dans le débat.
De ce point de vue, les recommandations de l’Unesco ne concernent pas seulement les neurotechnologies qui enregistrent ou modulent directement l’activité du cerveau, mais aussi toutes les technologies qui tirent des informations d’un enregistrement neuronal indirect, comme le suivi oculaire, la tension artérielle ou le rythme cardiaque. Bien sûr, cela est inoffensif si il s’agit d’aider à sa santé, mais dès que cela va servir à nous contrôler, il y a méfiance, vis-à-vis des entreprises, mais aussi des gouvernements.
Reste à savoir qui va « réguler » : le bon sens de chaque individu, dans l’ordre spontané du marché, ou la contrainte de l’Etat et des gouvernants, mettant jusqu’en prison les He Jiankui qui veulent sauver l’humanité ?

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