J’ai déjà parlé ICI et ICI de Hartmut Rosa et de son analyse de ce qu’il appelle « résonance », c’est-à-dire de notre relation au monde.

C’est comme une corde vibrante qui se crée entre soi et le monde.

Un des axes de résonance, c’est ce qu’il appelle un « axe vertical », où la résonance vient d’une relation particulière et verticale avec le monde, comme une inspiration, un monde inspiré.

Parmi ces axes verticaux, qui offrent l’expérience d’un lien constitutif avec une puissance supérieure qui embrasse l’existence tout entière, il évoque l’histoire.

Ce qui fait la résonance, ce sont ces moments de l’histoire qu’on appellera « évènements de l’histoire mondiale », ou « riches heures du monde », ces moments où se fait sentir « le souffle de l’histoire ».

Dans cette conception, qui s’est développée depuis le XVIIIème et le XIXème siècle, l’histoire n’est plus une suite d’histoires qui ont eu lieu, comme une toile de fond, mais un « mouvement » dont il s’agit de comprendre la voix ou l’appel.

Les points de contact où les sujets modernes que nous sommes sont saisis par la force de l’histoire, ce sont ce qu’on appellera les « temps historiques » et les « lieux historiques ».

Ce sont ces moments où l’on sera submergés d’émotion sur le site de l’ancien camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau, où tous ces lieux, Verdun, Stalingrad, Hiroshima, où le visiteur éprouve un bouleversement souvent inattendu, souvent en y répondant par des larmes.

Même expérience de résonance sur des lieux de réussites historiques, où des lieux exceptionnels, comme les pyramides de Gizeh ou le temple d’Angkor Vat. Ce sont aussi tous les lieux qui furent le théâtre de grands évènements historiques, batailles, prises de décision, rencontres ou crimes de guerre.

Hartmut Rosa y voit une relation intime : « La conscience d’un « ça s’est passé ici ! » semble offrir un accès intime à l’évènement, comme si le lieu ouvrait un tunnel temporel secret par lequel on pouvait relier différentes époques et percevoir le courant de l’histoire. Partout où le passé est vécu comme coprésent et connecté au présent et à l’avenir, il se produit une expérience authentique de l’histoire. La conscience du fait que c’est ici que les Romains ou les Celtes se sont baignés, ont célébré leurs fêtes ou livré des batailles semble donner un sens au présent ».

Mais voilà, Hartmut Rosa constate aussi depuis la fin des années 90 une sorte d’extinction de la force résonante de l’histoire, que certains ont appelé « la fin de l’histoire ». Il cite Jean Baudrillard, dans son essai « L’an 2000 ne passera pas » : « Nous en sommes déjà au point où les évènements politiques, sociaux n’ont plus une énergie autonome suffisante pour nous émouvoir et donc se déroulent comme un film muet dont nous sommes non pas individuellement mais collectivement irresponsables. L’histoire prend fin là, et vous voyez de quelle façon : non pas faute de personnages, ni faute de violence (la violence, il y en aura toujours plus, mais il ne faut pas confondre la violence et l’histoire) ni faute d’évènements (des évènements, il y en aura toujours plus, grâces en soient rendues aux médias et à l’information !) mais par indifférence et stupéfaction ».

Ce qui se perd, c’est précisément l’histoire comme espace de résonance. C’est, selon la théorie d’Hartmut Rosa, la conception moderne d’une histoire orientée et animée d’un mouvement propre qui a aujourd’hui atteint son point de rupture et fait place au retour de multiples récits d’histoire (sans liens entre elles), même si cela n’implique pas nécessairement une perte de la résonance historique en tant que telle.

Mais cette capacité d’assimilation de sa propre biographie et de l’histoire collective qui la porte est pour l’auteur ce qui rend possible une vie réussie.

Saurons nous encore aujourd’hui être capables de cette résonance avec l’histoire ?

L’actualité est un bon moment pour y réfléchir.

Posted in , , , ,

Laisser un commentaire