C’est un territoire de l’archipel indien d’Adaman, on l’appelle l’île des sentinelles (ou North Sentinel). Officiellement, l’île est administrée par l’Inde depuis 1947. Cette île est considérée comme l’une des dernières tribus de la planète totalement coupées du monde moderne. L’île est défendue par sa population, qui n’hésite pas à tuer les intrus à coups de flèches et de de lances ; elle est considérée comme un territoire souverain, sous la protection de l’Inde, qui en interdit strictement l’approche depuis 1996 et a mis en place un périmètre de sécurité de plusieurs kilomètres autour de l’île.
Cette île est une exception dans l’archipel, comme l’indique Nathan Devers (jeune auteur et philosophe de 28 ans), dans son roman, « Surchauffe », pour lequel il s’est longuement documenté, et y a travaillé pendant deux ans : « En Andaman, tous les peuples ont été rayés de la carte ou décimés par la modernité. Tous, sauf un, les fameux Sentinelles. Présentée ainsi, l’histoire a des airs d’Astérix. Nous sommes en 2023 après Jésus-Christ. La planète est entièrement occupée par la mondialisation. Cela fait bien longtemps qu’ayant été explorée de fond en comble, elle ne recèle plus aucun secret aux yeux de l’Humanité. Plus aucun ? Si ! Demeure encore une île, peuplée d’irréductibles Sentinelles, qui résiste encore et toujours à l’empire de la globalisation ».
Ces habitants coupés du monde, qui préservent leur mode de vie en dehors de l’agitation du monde moderne, servent de métaphore à Nathan Devers, pour apporter un autre regard sur notre monde moderne, en état de surchauffe permanent, et où chacun cherche une issue pour se protéger.
Car notre monde d’aujourd’hui a aussi ses « sentinelles », qui préfèrent s’isoler dans leur bulle, entre semblables, dans des communautés de toutes sortes, certaines constituées sur les réseaux sociaux, et éviter, voire repousser, interdire, ceux qui ne sont pas comme eux, qui ne pensent pas comme eux.
Jade, l’héroïne de ce roman, permet à l’auteur de déployer cette métaphore de la sentinelle : « Les croyances se déploient comme des îles. Des havres refermés sur eux-mêmes, qui confondent leurs contours avec les limites de l’univers. Des cultures en vase clos trouvant dans leur repli les conditions de leur autonomie. Comment pourraient-elles accepter de s’ouvrir ? Toute bulle qui se perce éclate sur-le-champ. Tout absolu qui se remet en cause se rompt comme un anneau brisé. Tout cercle qui s’élargit entre dans la Spirale. Mentale ou tellurique, une île qui accueille l’océan du dehors se noiera dans son altruisme : Aujourd’hui tolérante, demain une Atlantide ».
Jade trouve dans cette métaphore l’explication aux conflits qui ne se résolvent pas, mais aussi, comme elle l’explique à son mari « l’autodestruction des démocraties, avec la montée du populisme, le nationalisme, engendrés par la compétition victimaire, le nihilisme où mène la polarisation du débat public, le retour du fondamentalisme, l’émergence du séparatisme, à la folie du conspirationnisme et tous ces mots en -isme qui te donnent de l’urticaire mental ».
Avec son œil de Sentinelle, Nathan Devers, par les mots de Jade, voit dans ces phénomènes les « symptômes chaotiques d’une unique vérité : les gens ont le désir absolu de se protéger du réel en s’inventant des îles ».
Allons nous tous devenir des Sentinelles du monde moderne pour nous préserver de cette surchauffe ?

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