• RomanDans son Olympe libéral, « L’appel de la tribu », Mario Vargas Llosa consacre un chapitre à un auteur que je n’avais jamais lu, Sir Karl Popper (1902 – 1994).

    Mario Vargas Llosa dit le tenir pour « le penseur le plus important de notre époque, que j’ai passé une bonne partie des trente dernières années à le lire et à l’étudier et que, si l’on me demandait de signaler le livre de philosophie politique le plus fécond en enrichissant du XXème siècle, je n’hésiterais pas une seconde à choisir « La société ouverte et ses ennemis ». ».

    Ah oui !

    C’est un livre qui date de 1945, et dont Mario Vargas Llosa dit que, sans Hitler et les nazis, Karl Popper ne l’aurait jamais écrit.

    Mais de quoi parle donc un tel monument ?

    « Il s’agit d’une description fouillée et d’un formidable plaidoyer contre la tradition qu’il appelle « historiciste », commencée avec Platon, renouvelée au XIXème siècle et enrichie avec Hegel et que Marx porte au pinacle. Popper voit au cœur de ce courant, matrice de tous les autoritarismes, une peur panique inconsciente de la responsabilité que la liberté impose à l’individu, lequel tend pour cela à sacrifier celle-ci pour se dégager de celle-là. D’où ce désir nostalgique de retourner au monde collectiviste, tribal, à la société immobile et sans changements, à l’irrationalisme de la pensée magico-religieuse antérieure à la naissance de l’individu, qui s’est émancipé du placenta grégaire de la tribu et a rompu avec son immobilisme grâce au commerce, au développement de la raison et à la pratique de la liberté ».

    C’est Karl Popper qui dénonce cet appel de la tribu qui donne son titre au livre de Mario Vargas Llosa : « L’appel de la tribu, l’attraction de cette forme d’existence où l’individu, asservi à une religion, à une doctrine où un chef qui assume la responsabilité de répondre pour lui à tous les problèmes, refuse le dur engagement de la liberté et de sa souveraineté d’être rationnel, touche à l’évidence la corde sensible du cœur humain ».

    Celui que Karl Popper qualifie d’« historiciste », c’est celui qui croît que l’histoire des hommes est écrite avant de se faire, que l’histoire a un sens secret qui lui donne une coordination logique et l’ordonne à la façon d’un puzzle. A l’inverse de celui qui conçoit la vie comme une création permanente.

    Cette façon de croire qu’il existe un sens et une histoire écrite est pour celui qui en est la victime une réponse à cette angoisse de ne plus maîtrise l’avenir, et tente de se raccrocher à quelque chose qui le dépasse et qu’il pourra suivre en abandonnant sa liberté. Ce peut être la religion, mais aussi le communisme, ou toute autre doctrine.

    Cela fait penser à Mario Vargas Llosa au rôle du roman, vu comme une « organisation arbitraire de la réalité humaine qui défend les hommes contre l’angoisse produite chez eux par l’intuition du monde et de la vie comme un vaste désordre ».

    Ce qui lui suggère une réflexion historique sur le roman : « Ce n’est pas un hasard si le roman atteint son apogée dans les périodes qui précèdent les grandes convulsions historiques, si les temps les plus féconds pour la fiction sont ceux de la faillite ou de l’écroulement des certitudes collectives – la foi religieuse ou politique, les consensus sociaux et idéologiques – car c’est alors que tout un chacun se sent perdu, sans un sol solide sous ses pieds, et cherche dans la fiction – dans l’ordre et la cohérence du monde fictif – un refuge contre la dispersion et la confusion, cette grande incertitude, cette somme d(inconnues que la vie est devenue pour lui ».

    Le roman et la fiction seraient ils des remèdes à l'angoisse de  l’incertitude du monde ?

    C'est le moment de lire des romans en ce moment alors ?

  • LibreechangeMario Vargas Llosa, prix Nobel de littérature 2010, est décédé le 13 avril. La presse en fait la nécrologie et l’éloge. On peut aussi relire (ou lire) ses œuvres, et notamment ‘L’appel de la tribu », dont la traduction française est parue en 2021.

    C’est ce que j’ai fait.

    Ce livre, comme une autobiographie spirituelle, est un parcours personnel dans les œuvres d’auteurs de la liberté, nourri de réflexions philosophiques et politiques, que Matthieu Laine, dans une tribune parue dans Les Echos, avait qualifié d’ « Olympe libéral ».

    Le titre, l’appel de la tribu, fait référence à ce que l’auteur appelle aussi « l’esprit tribal », cette tentation de croire au magma collectiviste, à cette tribu, dont le retour a été incarné par le communisme, qui absorbe l’individu « redevenu partie d’une masse soumise aux ordres du leader, sorte de grand manitou religieux à la parole sacrée, irréfutable comme un axiome, qui ressuscitait les pires formes de la démagogie et le chauvinisme ».

    Le premier auteur évoqué dans cet Olympe est Adam Smith. Pas vraiment l’auteur fétiche de Trump en ce moment, puisqu’on le connaît comme l’auteur de « La richesse des nations », ode au marché libre comme moteur du progrès. Le titre complet est d’ailleurs « Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations ». Plus facile à lire avec Mario Vargas Llosa, puisque ce livre fait quand même plus de 1000 pages, abordant des thèmes les plus divers, que Mario Vargas Llosa voit comme « un monument à la culture de son temps, témoignage sur ce que signifiait dans le dernier tiers du XVIIIème siècle, la connaissance en matière de politique, d’économie, de philosophie et d’histoire ».

    Il est paru pour la première fois en mars 1776, et a fait l’objet de plusieurs rééditions complétées et remaniées.

    La découverte avec ce livre devenu célèbre à travers les siècles, c’est que ce ne sont pas l’altruisme et la charité qui sont le moteur du progrès, mais plutôt l’égoïsme. On connaît cette citation sans avoir ouvert le livre (voire certains ne connaissent que ça) :

    « Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du marchand de bière et du boulanger que nous attendons notre dîner, mais bien du soin qu’ils apportent à leurs intérêts. Nous ne nous adressons pas à leur humanité, mais à leur égoïsme ; et ce n’est jamais de nos besoins que nous leur parlons, mais de leur avantage ».

    Ce qui caractérise la thèse d’Adam Smith, c’est la liberté : liberté de commercer, d’intervenir sur le marché comme producteur et comme consommateur, à égalité de condition face à la loi, liberté de signer des contrats, d’exporter et d’importer, de s’associer et de créer des entreprises.

    Le marché a incontestablement cette froideur, qui récompense le succès et châtie l’échec.

    Mais, comme le souligne Mario Vargas Llosa, « Adam Smith n’était pas cet être cérébral et déshumanisé à travers qui ses ennemis attaquent le libéralisme. Au contraire, il était sensible à l’horreur de la pauvreté et croyait à l’égalité des chances, même s’il n’employa jamais cette expression. C’est pourquoi il affirmait que, pour contrecarrer l’état d’ignorance et de stupidité que les tâches répétitives pouvaient engendrer chez les travailleurs, l’éducation était indispensable et devait être financée, pour ceux qui ne pouvaient en assumer le coût, par l’Etat ou la société civile. Il favorisait aussi la compétition dans l’éducation et défendait une éducation publique à côté de l’éducation privée ».

    Il ne connaissait pas encore l’intelligence artificielle et ChatGPT…

    Sa critique porte aussi sur l’interventionnisme d’Etat, et sur les « gaspillages et dépenses inutiles causés par les rois et les ministres, appauvrissant ainsi l’ensemble de la société ». Il serait encore plus étonné aujourd'hui, peut-être.

    Et inversement il fait l’éloge d’une société où l’Etat est réduit et fonctionnel, car il laisse les citoyens travailler et la richesse croître au bénéfice de la société tout entière.

    Louange aussi de l’entrepreneur, relevé par Mario Vargas Llosa : « L’entrepreneur doit toujours donner l’exemple à ceux qu’il emploie », et citant Adam Smith : « Si le maître est économe et rangé, il y a beaucoup à parier que l’ouvrier le sera aussi ; mais s’il est sans ordre et sans conduite, le compagnon habitué à modeler son ouvrage sur le dessin que lui prescrit son maître, modèlera aussi son genre de vie sur l’exemple que celui-ci lui met sous les yeux ».

    On comprend toute l’admiration que Mario Vargas Llosa voue à Adam Smith, même si les idées exprimées datent forcément un peu, mais ces idées ont influencé à son époque tout l’Occident.

    « Nombre de ces idées, nées au XVIIIème siècle, renvoient à une réalité sociale qui a énormément changé si on la compare à la nôtre. Mais il n’est pas extravagant de dire que ces changements sont dus en grande partie aux découvertes et aux idées exposées pour la première fois dans ce livre capital ».

    Mais alors, aujourd’hui, où en est-on ? Car la liberté du commerce, avec les batailles de droits de douane de Trump, elle paraît loin, non ?

    Est-on passé à un nouveau capitalisme ?

    Justement, Eugénie Bastié fait aujourd’hui (17 avril) dans Le Figaro une recension de l’ouvrage d’Arnaud Orain, « Le monde confisqué. Essai sur le capitalisme de la finitude (XVIème-XXIème siècle).

    C’est quoi ce capitalisme de la finitude ?

    Lisons Eugénie Bastié et Arnaud Orain : « Le libre-échange cède la place à une conception autarcique de l’économie et à une course à l’accaparement des richesses, le dogme de la concurrence au retour des monopoles privés devenus des compagnies-Etats, le capitalisme financier au capitalisme marchand ».

    Le slogan du capitalisme de la finitude, c’est « Il n’y en aura pas pour tout le monde ».

    « Contrairement à l’utopie libérale d’un enrichissement mutuel par le libre-échange et le doux commerce, le capitalisme de la finitude postule que l’économie est un jeu à somme nulle, que le monde est fini ou finissant et qu’il faut s’accaparer le plus vite possible de ce qui peut l’être ».

    Paradoxalement, selon l’auteur, ce seraient les mouvements écologistes, ceux qui ont mis en avant depuis les années 70 la finitude des ressources, qui auraient précipité cette « course à la saisie », en généralisant l’angoisse de la limite.

    Nous serions passé de la logique de l’abondance à la logique de la puissance. La concurrence disparaît avec le retour des grandes compagnies-Etats à tendance monopolistiques. Après les compagnies des Indes hier, ce sont aujourd’hui les Gafam. L’article rappelle que Google couvre 90% du marché des moteurs de recherche, et Amazon 40% du commerce en ligne. C’est J.D Vance, vice-Président de Trump, qui a déclaré que l’idéologie de la concurrence serait hostile au capitalisme, en éliminant la possibilité des bénéfices.

    Autre impact de ce capitalisme de la finitude, le retour des marchands sur les industriels : « Symbole frappant : en France, à Denain, en 2022, un ancien site sidérurgique a été reconverti en entrepôts de 100.000 mètres carrés pour Amazon. Le cœur battant du capitalisme de la finitude, c’est le système des entrepôts. Les marchands règnent en lieu et place des industriels ».

    Mais alors, l’Europe ?

    Condamnée sans appel : « Dans cette configuration schmittienne du monde, où le conflit l’emporte sur la coopération, l’Union Européenne est complètement larguée. Elle s’entête seule dans un respect scrupuleux du libre-échange obsolète. Ainsi, alors que les Etats-Unis sont devenus une économie de monopoles et que la Chine enchaîne les mégafusions, l’Europe a interdit en 2019 la fusion Alstom Siemens au nom du dogme de la concurrence. Même les populistes européens sont ringards, nous dit Orain, s’entêtant dans des conceptions souverainistes étriquées, au lieu de pousser à la constitution de méga-compagnies européennes ».

    Voilà un auteur que Mario Vargas Llosa n’aurait sûrement pas mis dans son Olympe…

    Doit-on oublier Adam Smith ?

    Ou le lire et relire ?

    Ou bien passer à Arnaud Orain (il ne fait que 368 pages celui-là) ?

  • ProjectileAprès un moment d’admiration et d’ébahissement face à l’intelligence artificielle façon ChatGPT, voilà que s’élèvent les voix de ceux qui commencent à douter de ce qu’ils voient comme un fantasme.

    On pourrait comparer à ce qui était reproché à l’écriture par Socrate dans le « Phèdre » de Platon : Pour Socrate, l’écriture est inhumaine, car elle prétend établir en dehors de l’esprit ce qui ne peut être en réalité que dans l’esprit. L’écriture n’est qu’une chose, un produit manufacturé. Autre critique de Socrate : l’écriture détruit la mémoire. Les utilisateurs de l’écriture perdront peu à peu la mémoire à force de compter sur une ressource externe pour parer à leur manque de ressources internes. L’écriture affaiblit l’esprit.

    Socrate avait ainsi prédit que l’écriture allait changer le monde, en détruisant celui de l’oral et de la mémoire dans lequel il vivait.

    Les Socrate d’aujourd’hui adressent les mêmes prédictions à ChatGPT.

    C’est Gaspard Koenig qui, dans une récente tribune des Echos, comparait Copilot, autre IA LLM, à un « waze de la pensée » : « Confier l'expression de soi à un robot constitue le dernier degré de la servitude volontaire. Signer un e-mail qu'on n'a pas rédigé, c'est abdiquer toute dignité ».

    « Pour l'écriture comme pour le reste, il est naïf de croire que l'IA nous épargnera les tâches subalternes en nous offrant tout le loisir de déployer notre génie dans de nobles et mystérieuses activités. Car c'est précisément dans le ciselage besogneux du mot, dans l'élimination patiente de la répétition, dans l'abîme méditatif de la virgule, que se forge un style singulier. Ce sont à travers les innombrables erreurs et errements des manuscrits de jeunesse que l'on apprend à confectionner sa propre langue ».

    Autre vision, celle de l’auteur américain Richard Powers, dont j’ai déjà parlé ICI, et qui s’entretient avec Alexandre Lacroix dans le dernier numéro de « Philosophie Magazine » :

    « A mon avis, un abîme croissant va séparer les gens qui comprennent comment ces machines fonctionnent, qui savent les programmer, et ceux qui n’ont même pas encore pris conscience de leur existence ».

    « Le progrès de l’IA va entériner la victoire définitive du capital sur le travail. Celui qui a les capitaux pour investir dans l’IA, qui est propriétaire de la technologie, sera en même temps détenteur du travail automatisé, puisqu’un très grand nombre de tâches vont être confiées aux machines. L’instabilité de ce système est pourtant évidente : quelques capitalistes seront richissimes, ils seront à la tête de monopoles immenses. Mais ce qui va gripper le système, c’est qu’à force d’automatisation des tâches, ils redistribueront toujours moins de leur capital accumulé en salaires, ce qui fait qu’il y aura de moins en moins de pouvoir d’achat pour absorber leurs services et leurs marchandises. Au bout du compte, il est prévisible que nous allions vers des révoltes sociales violentes. Et la question n’est pas de savoir si ce futur est désirable ou non. C’est ce qui est en train d’arriver, et nous y allons rapidement. Un projectile immensément puissant a été lancé sur le monde et nous ne pouvons plus l’arrêter ».

    De quoi rester optimiste !

  • IntelligenceC’est son quatorzième roman, mais le premier que je découvre.

    Il s’agit de « Playground », traduit par « Un jeu sans fin » en français, de Richard Powers.

    C’est un gros roman de plus de 400 pages, avec des histoires qui se croisent, des personnages dont on suit l’existence tout au long de leur vie. On y découvre cette île du Pacifique, Makatea, qui a été colonisée par les Français, et a été un temps une richesse d’exploitation du phosphate. Mais les mines se sont taries, et l’île se retrouve en 2020 avec 90 habitants, et des infrastructures livrées à la jungle.

    Et ça parle aussi d’intelligence artificielle qui est aujourd’hui devenue un héros obligé de nombreuses œuvres de fiction.

    Car un milliardaire a l’heureuse idée d’imaginer construire une ville flottante au large de Makatea, ce genre de ville libertarienne en dehors de tout État ; et forcément cela aura un impact sur l’économie de cette île perdue.

    Et pour convaincre les habitants de Makatea, qui vont voter pour ou contre ce projet dans leur île, il leur propose une intelligence artificielle, un genre de chatbot perfectionné, appelée Profunda. Les habitants peuvent l’interroger à l’infini pour tout savoir du projet, oralement, car la machine comprend leurs paroles, elle génère des plans et des images en 3D, elle répond à toutes les questions.

    Au début les habitants posent des questions pour tenter de piéger la machine, en demandant des informations qu’ils connaissent déjà, comme la superficie de l’île, le nombre d’habitants, des informations sur son histoire. La machine sait tout. Alors ils passent à des vraies questions sur ce qu’ils ne connaissent pas et veulent savoir. Et la machine a réponse à tout.

    Et les questions se font de plus en plus précises.

    « Avec un tel tirant d’eau, est-ce que ces bateaux ne vont pas bousiller le récif ? ».

    Et vient la réponse : « La réponse de Profunda surprit tout le monde. Loin d’édulcorer les faits, elle concéda qu’en effet le projet d’implantation maritime modifierait le lagon, le récif et toute leur population. Elle spécula sur la nature et l’ampleur de cette modification, presque en philosophe. Elle employa les termes « coût » et « dommages », et tenta d’évaluer, en francs Pacifique, le manque à gagner pour l’île que représenterait cette perte de ressources, tout en avertissant que ses estimations étaient au mieux approximatives ».

    Une petite fille de l’assistance a alors cette remarque : « Si les créatures du récif doivent en souffrir, est-ce qu’elles ne devraient pas elles aussi avoir le droit de voter ? ».

    Et Profunda a bien sûr une réponse aussi, qui laisse l’assistance muette : « Profunda se lança dans un développement sur les droits des animaux, leur statut légal, leur reconnaissance comme personnes morales. Elle admit que de nombreuses espèces à l’intelligence développée peuplaient les fonds marins entourant l’île. Elle évoqua les problèmes inhérents à une culture où seuls les humains étaient considérés comme sacrés ou importants. Elle souligna que dans les cultures fondatrices de la Polynésie, d’autres créatures possédaient un caractère divin et un génie propre ».

    C’est comme une prise de conscience : « Sur chaque visage se dessinait la même prise de conscience : ils pouvaient demander à ce monstre n’importe quoi. Et la réponse serait aussi imprévisible que le permettaient des dizaines de milliards de pages de connaissance humaine ».

    Voilà bien tracé tout le romanesque de l’intelligence artificielle, les admirations et les peurs qu’elle génère, les questions qu’elle soulève, et la place des humains. Car cette communauté de Makatea va quand même voter, avec le choix de chaque humain qui la compose.

    Pour connaître le résultat, et tout le pitch génial de ce roman, il ne vous reste plus qu’à le lire.

    Les romans sont peut-être les meilleurs compagnons pour réfléchir aux enjeux de l’intelligence artificielle.

  • UtopiePour changer le monde, sauver la planète, éliminer les inégalités, supprimer la pauvreté, les idées ne manquent pas, et la littérature est abondante, ainsi que les déclarations de politiques exaltés.

    Rien de dangereux, sauf quand cela devient une sorte de maladie mentale, celle qui atteint ceux qui sont tellement convaincus d’avoir trouvé (ou même simplement de pouvoir trouver) la solution définitive et totale, et se consacrent à en convaincre les autres, de manière parfois agressive. 

    C’est ce que Paul Watzlawick et l’école de Palo-Alto ont identifié dès les années 70 comme ce qu’ils ont appelé le « syndrome d’Utopie ». C’est une maladie car celui qui en est atteint souffre précisément de cette quête sans fin qui l’obsède d’une solution définitive et parfaite à des problèmes du monde et de la société, solution qui par nature n’existe pas.

    Une des formes de ce syndrome d’Utopie analysée par Watzlawick est ce qu’il appelle la forme « projective » : elle est constituée par une attitude de rigueur morale reposant sur la conviction d’avoir trouvé la vérité. En général, cela s’approche d’une construction imaginaire d’une société idéale conçue sans trop réfléchir au changement « réel » qui permettrait de passer de l’état existant et critiquable à l’état imaginé. A ce titre, elle peut viser, par la mobilisation des imaginaires, à faire advenir ce qu’elle prédit par le fait de le prédire. C’est ce que l’on pratique encore parfois dans les entreprises avec la réalisation et la formalisation de ce qu’on a appelé les « projets d’entreprise », avec plus ou moins de bonheur.

    Mais dans une forme plus dangereuse, ce syndrome d’utopie projective devient une mission pour celui qui est sûr de détenir la vérité pour changer le monde, mission de transformer le monde en convertissant les autres. Son idée est de persuader avec l’espoir que la vérité qu’il détient, une fois rendue sensible, apparaîtra forcément à tous les hommes de bonne volonté.

    Et donc, conclusion logique, et c’est là qu’est le drame, ceux qui ne veulent pas se convertir, ou même refusent d’écouter, sont obligatoirement de mauvaise foi. Au point qu’il devient nécessaire, pour le bien de l’humanité, de les détruire. Car ceux qui ont tort, et ne s’en rendent pas compte, ce sont toujours les autres, ou la société.

    Toujours dans ces situations, les prémisses sur lesquels le syndrome d’utopie se fonde sont considérées comme plus réelles que la réalité : si je veux ordonner le monde selon mon idéal et que ça ne marche pas, je ne vais pas réexaminer mon idéal, mais accuser l’extérieur, ou la société. Watzlawick cite par exemple les maoïstes et les marxistes qui expliquaient que si la société soviétique n’avait pas réussi à créer la société idéale sans classe, c’était parce que la pure doctrine était tombée dans des mains impures, et non parce que, peut-être, le marxisme pourrait contenir quelque chose de fondamentalement faux.

    On pourrait voir le même phénomène, toujours d’actualité, où, pour résoudre un problème dans nos services publics, que l’on ne trouve pas conformes à notre idéal, il faut « plus d’argent » et « plus de moyens », ou « un plus grand projet ».

    Ce que Watzlawick résume en « plus de la même chose ».

    Pour mieux comprendre les affres et conflits intérieurs de ceux qui veulent sauver la planète ou sauver le monde, ou toute autre cause idéale, en détruisant ceux qui n’ont pas les mêmes « vérités », la lecture ou relecture de Watzlawick peut être salutaire, car il ne semble pas que ce syndrome d’utopie et ses manifestations parfois violentes envers les autres ait véritablement disparu.

    L’intelligence collective a encore du chemin à faire pour empêcher les conséquences négatives de ce syndrome.

  • BlancQuand on observe les tendances qui font la mode, il y a des indices qui nous alertent que quelque chose se passe. Et cela constitue des signaux faibles pour ceux qui veulent toujours s’adapter.

    Ainsi l’année 2023 est celle où, pour la première fois dans l’histoire, la production de vins blancs est passée devant celle des rouges en France.

    Alors, forcément, les producteurs de vins rouges s’en sont ému, et se sont mis à réfléchir à planter des cépages blancs à la place des noirs.

    C’était l’objet d’un dossier très documenté du Monde du samedi 1er mars.

    Les chiffres parlent : Selon la direction générale des douanes et droits indirects, le blanc a représenté en 2023 13,5 millions d’hectolitres, en hausse de 10% par rapport à 2022, alors que la production de rouges a, elle, reculé de 11% à 12,8 millions d’hectolitres.

    Mais la transition devrait prendre du temps car pour le moment les vignes plantées en raisins rouges font 65%, contre 35% pour les blancs (les vins rosés sont aussi faits avec des cépages rouges).

    Et puis, ce qui prend du temps, c’est aussi le temps de développement (une vigne prend quatre ans au minimum avant de donner des fruits), et aussi l’enregistrement à l’INAO (Institut national de l’origine et de la qualité).

    C’est le genre de tendance que l’entreprise doit avoir anticipé le plus tôt possible.

    D’ailleurs cette tendance pour les vins blancs ne date pas de 2023, et était déjà constatée dans les modes de vie et de consommation, notamment ceux des nouvelles générations.

    Les études ont montré une tendance de consommation de vins plus légers et rafraîchissants, moins tanniques et moins alcoolisés. Ce sont les 18 – 39 ans qui marquent cette préférence pour les bouteilles à 12° plutôt qu’à 14°. Et puis, autre phénomène, les réseaux sociaux qui influencent aussi en popularisant le verre de rosé ou de blanc en terrasse.

    En perte de vitesse, les vins bien lourds pour les repas de fête ou en famille. On préfère les apéritifs informels entre copains, et moins au restaurant, et plus au bar, moins en mangeant et plus en grignotant. Là encore, de quoi donner des idées pour de nouveaux styles d’établissements.

    Autre phénomène, c’est l’évolution du vocabulaire du vin lui-même. Le critique américain Kermit Lynch, cité par le dossier du Monde, fait remarquer que, dans les années 70, le vin était surtout comparé à un homme, on parlait de sa puissance ; et maintenant on y trouve des notes de fruits ou de fleurs. Ce qui indique l'influence des femmes, et il y a de plus en plus de vignerons qui sont des vigneronnes.

    Alors, les vignerons sont à l’œuvre. On va bientôt pouvoir déguster des Médoc blancs (L’INAO a donné son accord en 2023, pour un dossier déposé en 2019, et on attend encore la décision du ministère de l’Agriculture). Il y avait déjà des médocs blancs, mais en vins de France. Là on va avoir des AOC.

    Même chose en Corbières (les surfaces consacrées aux cépages rouges ont chuté de 28% en dix ans), où l’on arrache les vignes en rouge pour planter des cépages pour les blancs. Idem à Rasteau, en Beaujolais ou en Minervois.

    C’est ce qu’on appelle déjà une révolution blanche.

    Il y a des révolutions plus agréables que d'autres…

  • TaxeLire devient il une habitude désuète en perdition ?

    C’est ce qu’on pourrait déduire de la dernière étude du CNL (Centre National du Livre).

    On y découvre qu’un jeune de 16-19 ans sur trois ne lit pas du tout dans le cadre de ses loisirs.  Et que quotidiennement les jeunes passent 10 fois plus de temps sur les écrans qu’à lire de livres. Et le nombre de jeunes qui affirment ne pas aimer lire est en hausse : 19% et même 31% chez les 16-19 ans en 2024.

    Alors le CNL, avec ses 65 employés, lance des initiatives publiques, comme des évènements de lecture partagée, pas forcément que pour les jeunes d’ailleurs.

    Et puis, pour faire lire, certains, en milieu rural notamment, des bénévoles, créent des bibliothèques, et pas seulement pour les jeunes. Le Figaro du 15 février mentionnait la bibliothèque de Ladrat, sur le plateau de Millevaches, en Haute-Vienne, qui s’est installée dans une grange, à l’initiative de Gilles Dessaigne, ancien instituteur. Il y propose 10.000 ouvrages, issus de dons de gens qui l’appellent pour lui donner des livres qu’ils ne veulent plus.

    Mais comme la grange commençait à être trop petite, il a eu une idée, créer une boîte à livres en accès libre : « J’ai récupéré de vieilles planches auprès d’entreprises, j’ai veillé à bien respecter ce que l’on m’avait recommandé à la mairie, et j’ai construit une petite cabane. Mais voilà que quelque temps après, j’ai reçu un avis me demandant de payer plus de 500€ au titre de la taxe pour abris de jardins ! Moi, je veux bien donner de mon temps, mais faut tout de même pas que j’y sois de ma poche ! ».

    Il a donc démonté sa cabane, « très énervé ».

    La lecture attendra ; la taxe d’abord.

  • VertOn peut croire que sauver la planète, lutter contre le réchauffement climatique, c’est une histoire de conviction et d’intelligence collective, sans contraintes ni punitions.

    Mais c’est pourtant ce qui se passe. Et pour les contraintes, on ne manque pas d'idées.

    Prenons les véhicules électriques. Cela ne progresse pas assez vite. Alors l’Etat et le législateur vont s’en occuper.

    La loi d’orientation des mobilités de 2019 a ainsi contraint les entreprises disposant d’une flotte de véhicules de la « verdir » : Cette loi impose des quotas de véhicules électriques lors du renouvellement des flottes (20% en 2024 et 2025, 40% en 2027). Et si vous ne respectez pas ces quotas, c’est l’amende par véhicule manquant.

    Apparemment, ça ne suffit pas. Les entreprises n’acquièrent encore que 11,5% des véhicules électriques, contre 20,4% chez les particuliers.

    Alors, la loi de finances 2025 a trouvé utile d’en remettre une couche. Elle prévoit d’instaurer une taxe annuelle, dite malicieusement « incitative » relative à l’acquisition de véhicules légers à faibles émissions. En clair, les entreprises qui n’électrifient pas leur parc automobile au rythme établi par la Loi d’orientation des mobilités devront s’acquitter de sanctions financières.

    Attention, pour calculer ces taxes, le législateur a tout prévu pour vous casser la tête. La taxe comprend trois facteurs :

    • Un tarif unitaire par véhicule manquant (2000 euros en 2025, 5000 euros à partir de 2027),
    • L’écart entre l’objectif cible d’intégration des véhicules propres (toujours à 20% pour 2025). Si l’écart est nul et que l’entreprise remplit ses objectifs de verdissement, elle ne paiera pas de taxe. Si l’objectif n’est pas atteint, elle paye une taxe sur l’écart annuel (15% en 2025, et 48% en 2030). Mais attention, les véhicules particuliers à très faible émission, ainsi que les véhicules à usage spécial bénéficient d’un coefficient majoré, afin d’améliorer leur poids dans le calcul et donc réduire la taxe.
    • Mais il y a un troisième facteur, qui est le taux de renouvellement annuel des véhicules très émetteurs : Plus l’entreprise renouvelle ses véhicules polluants, plus la taxe sera élevée. Il y a un autre tableau pour faire le calcul.

    Mais là où ça se complique, c’est quand il faut déterminer la date d’intégration du véhicule dans la flotte. Jusqu’à présent c’était la date de commande du véhicule. Maintenant, avec la nouvelle loi, ce sera la date d’intégration du véhicule dans la flotte, c’est-à-dire la date d’immatriculation.

    Bon, il y a des exemptions pour certains véhicules qui ne seront pas taxés, comme les véhicules de location courte durée ou les véhicules agricoles et forestiers.

    Tout n’est pas calé, les fonctionnaires zélés en charge sont à la tâche pour affiner encore.

    Mais on pourrait peut-être en rajouter un peu, qu’en dîtes vous ?

    C’est le sens de la proposition de loi de deux députés, Jean-Marc Fiévet (Renaissance) et Gérard Leseul (Parti Socialiste) pour faire encore plus : Abaisser le seuil de véhicules à 50 véhicules au lieu de 100, augmenter les quotas (Pour les entreprises disposant de plus de 100 véhicules en parc, le quota d’intégration de véhicules à très faibles émissions lors des opérations de renouvellement de flotte est fixé à 20 % à partir du 1er janvier 2026, à 40 % au 1er janvier 2027 et à 70 % au 1er janvier 2030), augmenter les amendes en cas de non-respect. Mais aussi sanctionner celles qui omettent de déclarer (Pour les entreprises, le défaut de transmission des informations liées aux opérations de verdissement sera passible d’une pénalité d’un montant maximal de 1 % du chiffre d’affaires français hors taxes du dernier exercice clos réalisé).

    Bon, comme il serait trop simple de faire simple, il y a aussi des exemptions nouvelles qui sont prévues : les « grands fourgons » sont exonérés, mais les fourgonnettes et les moyens fourgons sont concernés.

    En revanche les véhicules hybrides rechargeables seraient exclus du calcul des quotas. Il faut des 100% électrique.

    Les députés ont encore plein d’idées pour « améliorer » l’histoire. Par exemple limiter la proposition aux véhicules qui servent aux trajets domicile travail des employés, et alléger ou exonérer pour les autres. En gros certains vont ajouter des exemptions, d'autres en enlever. Ou alors on peut ajouter de nouveaux facteurs.

    Y a pas que les flottes de véhicules qui vont devenir vertes…

  • FolieC’est Marx qui prophétisait l’inéluctable déclin du capitalisme.

    On en est encore loin, et celui-ci est encore bien vivant. Mais il a changé.

    Au point que certains voient dans le nouveau capitalisme, celui en recomposition depuis les années 80 en France, le retour de mœurs de l’Ancien Régime en France.

    Diable !

    C’est la thèse Pierre Vermeren, docteur en histoire et normalien agrégé, qu’il exposait dans une récente tribune du Figaro.

    L’Ancien Régime, c’est l’empire d’une économie de rente : « Hormis les monopoles coloniaux et les manufactures, sa grande affaire était non l’exploitation de la terre par les masses paysannes (plus de 8 Français sur 10), mais les rentes qu’on pouvait en tirer : droits seigneuriaux, impôts directs et indirects, dîme etc ».

    C’est cette époque de l’affermage, où le Roi pouvait déléguer par bail unique à un particulier, pour une durée limitée, le droit de recouvrer un impôt et d’en conserver le produit. Ce système de rentes a perduré dans la France des XVIIème et XVIIIème siècles.

    Autre système de la Monarchie, les charges viagères, ces offices (fonctions militaires, de finance ou de magistrature) que pouvaient acheter les agents royaux et en disposer à leur guise contre un paiement forfaitaire.

    Quel rapport avec le capitalisme en France d’aujourd’hui ?

    Ce qui forge les nouvelles rentes d’aujourd’hui, ce sont notamment les oligopoles dans le BTP et les services en réseau à qui la commande publique s’adresse par endettement, soutenu par les banques qui financent cette dette publique. Ce système de dépenses publiques infinies se déploie pendant que le secteur économique indépendant « s’asphyxie » : « l’agriculture, l’artisanat, l’industrie et le commerce s’étiolent. 2024 est l’année record des défaillances d’entreprises ».

    Dans ce capitalisme, « les banques préfèrent les bons d’Etat (qui financent la dette) aux prêts aux entreprises, qui rapportent d’aléatoires dividendes ».

    C’est comme cela que les acteurs publics surinvestissent dans des équipements à crédit qui font tourner l’économie locale des entreprises du BTP, avec les ronds-points, les poubelles enterrées, les mobiliers urbains, les stations solaires, etc. Un des chefs-d’œuvre de cette rente constituée concerne les autoroutes privatisées. Dans cette économie qui a « renoncé à produire », la rente est tout : « péages et restaurants d’autoroutes, toilettes urbaines, panneaux publicitaires, centres commerciaux des gares et des banlieues, niches comme les pompes funèbres ou la viande halal », mais aussi « construction des HLM, des pavillons, des prisons, des collèges, des éoliennes et champs de panneaux solaires, rénovation thermique du bâti public et privé ».

    Autres agents royaux qui profitent du système en faisant la roue autour des projets qui coûtent et qui dérapent toujours dans un Etat suradministré, les juristes, consultants, communicants et agences de tous poils, ceux qui ne survivent que des faveurs de l'argent public, en flattant les donneurs d'ordre.

    Ce qui vient encore plus encourager cette tendance, c’est bien sûr le développement des normes publiques (bilan thermique, contrôle technique, glissières d’autoroutes, ascenseurs obligatoires, isolants phoniques, autant de sollicitations qui viennent gonfler la commande publique et les carnets de commande des nouveaux agents royaux. Pendant que ces normes asphyxient plus encore l’initiative privée et la libre concurrence.

    Et pendant que se développait ce capitalisme de l’achat public, et de ses conséquences directes et indirectes, financé par la dette, nous avons technologiquement décroché, et « l’enrichissement par la rente d’une génération a obéré l’avenir du pays ».

    La conclusion n’est pas très optimiste :

    « En restant dans la compétition industrielle mondiale et en développant l’informatique, les autoroutes de l’information, et la net-économie, nous aurions obtenu une profitabilité très supérieure ». 

    En gros notre production s’est effondrée et nous vivons à crédit et endettés.

    Pas simple de s’en sortir, d’autant que « comme à la fin de l’Ancien Régime, la violence menace ».

    Pourra-t-on reprendre la main sur l'Intelligence Artificielle, comme voudrait le croire le sommet sur le sujet en ce moment ?

    On va reparler de révolution ?

    Ou de nouveaux choix de société guidés par un renouveau du libéralisme, le vrai, celui de la liberté ?

  • NapoleonSi l’on parle de leader, on invoquera sa vision, sa détermination, on comparera à des chefs célèbres, dans l’Etat ou l’armée, à Napoléon par exemple.

    Et c’est vrai que l’on peut avoir l’impression que certains dirigeants se prennent un peu pour Napoléon, ce qui les rapproche du profil des fous (Les hôpitaux psychiatriques sont parait il peuplés de patients convaincus d’être Napoléon).

    Mais voilà, aujourd’hui, le leadership, c’est aussi l’attention portée aux employés et aux collaborateurs.

    Se trouver dans une réunion de managers qui bavardent en attendant qu’elle commence ; et puis le chef arrive ; silence dans la salle, les regards braqués sur ce chef, qui va prendre la parole ; ces visages de soumission, voire de peur rentrée, voilà une expérience qui en dit long sur le style de management. Le chef a l’air content de lui. Les plus jeunes ont l’air d’automates, les plus anciens aux regards de chiens battus habitués à être de bons soumis font un peu pitié. Mais comment marche donc cette entreprise ?

    Quand ça craque vraiment, on parlera même, médecine du travail en appui, de « management toxique » ou de « harcèlement ».

    Le Figaro rapporte cette semaine que c’est le cas de la préfète déléguée à l’égalité des chances à la préfecture de Gironde (c’est quoi ce poste ?), qui est visée par un rapport de la médecine du travail pour son « management toxique » causant un « risque suicidaire élevé » chez ses collaborateurs.

    L’affaire n’est pas close et l’intéressée, forcément, s’en défend, et dit qu’elle a « toujours porté la plus grande attention à ses équipes ».

    En fait, développer son leadership en se gardant de ce risque n’est pas toujours évident. Et on apprend plutôt sur le tas, par essais et erreurs, même si certains sont plus doués que d’autres. Et ça concerne tous les dirigeants, même avec une petite équipe. C’est le dilemme dans certaines start-ups aussi, qui voient augmenter les effectifs très vite, avec des dirigeants entrepreneurs concentrés sur la stratégie et le développement et qui ne savent pas comment manager ces collaborateurs, certains les considérant même comme des contrats de travail sur pattes, qui n’ont rien à dire.

    Il y a déjà quelques années, deux chercheurs, James M. Kouzes et Barry Z. Posner, ont publié plusieurs ouvrages sur ce qu’ils appellent les « règles du leadership ». Elles méritent toujours d’être lues et relues.

    Parmi celles-ci, justement : « Tu ne peux pas faire tout seul ».

    Ils ont observé, comme d’autres, que la relation avec les subordonnés était un des critères essentiels de la réussite et de la performance. C’est aussi ce qu’a étudié Daniel Goleman à propos de ce qu’il appelle « l’intelligence émotionnelle ». D’autres, plus proches de la psychanalyse, parleront de « lien libidinal ».

    Mais alors, on fait comment, messieurs Kouzes et Posner. Cela a l’air simple en fait :

    « Pour établir un lien humain, il faut une écoute exceptionnelle. Vous devez comprendre le point de vue des autres, et cette capacité s'est avérée être la différence la plus flagrante entre les dirigeants qui réussissent et ceux qui échouent ».

    Le secret est de passer le temps avec les employés, directement sur le terrain, avec intimité, familiarité, empathie, être comme en « résonance » avec eux.

    Mais de quoi leur parler ?

    Les auteurs considèrent que, parmi les sujets de discussion ouverts, ceux concernant le futur sont les plus porteurs de motivation et de sens. Car, en étant sur le terrain des opérations, on fonctionne plutôt dans le présent et les objectifs à court ou même très court terme. Alors que le dirigeant a une obligation de se préoccuper du futur aussi, de ce qui pourrait arriver, des scénarios qui peuvent advenir, et de comment s’y préparer. Ce que les employés attendent, ce n’est pas que le chef déroule sa vision, mais comment leurs propres rêves peuvent se réaliser, et se représenter eux-mêmes dans ces visions et scénarios du futur. La vision et le futur ne sont pas un monologue du chef, mais l’occasion de conversations dans toute l’entreprise. C’est tout le bénéfice des exercices de scénario planning que de nombreux dirigeants pratiquent et déploient régulièrement (et ils sont de plus en plus nombreux à le faire), et dont j’ai déjà parlé ICI.

    Pour l’employé, le bon leader, c’est aussi celui qui lui donne le sentiment qu’il va le rendre meilleur. C’est comme cela que l’on se souvient des managers qui nous ont ainsi aidé dans notre parcours professionnel.

    Il y a une scène connue dans le film « Pour le pire et pour le meilleur » de James L. Brookes (1997), avec Jack Nicholson, dans un restaurant, à propos d’un compliment, qui montre bien ce sentiment.

    A visionner pour s’en convaincre :