Quand on parle du Service Public, c’est l’occasion,surtout pour ceux qui n’y connaissent rien, d’échanger de bonnes blagues; ça parle de fainéants, de grèves, de résistance au changement. Coluche déjà avait donné le ton dans un sketch célèbre, caricaturant les chassés croisés entre « ceux qui arrivent plus tard qui croisent ceux qui repartent en avance », et c’était avant les trente cinq heures.
Alors, évidemment, être patron depuis toujours, d’entreprises publiques, et venir affronter l’assemblée des anciens HEC, ça relève du courage. Jean-paul Bailly, président de La Poste, et ancien président de la RATP, n’en manquait pas, et c’est avec un large sourire qu’il s’est adressé à nous le 10 octobre aux "matins HEC". Il a été accueilli par une assemblée attentive, toute respectueuse de ses états de service.
Le métier de consultant donne parfois la chance de rencontrer et de travailler avec des personnes remarquables, dont on respecte la confiance, et dont on garde le souvenir pendant longtemps. Jean-Paul Bailly fait partie pour moi de cette galerie de rencontres mémorables de mon expérience professionnelle. J’étais heureux de l’écouter ce matin.
A cette occasion, il nous a fait part de son secret pour faire bouger une entreprise publique, à partir de son expérience à la RATP et à La Poste.Il est profondément convaincu que l’exigence de performance est essentielle, et un devoir quand on dirige une entreprise publique. Cette exigence n’a pas de couleur politique, il a d’ailleurs été nommé à ses postes tant par des gouvernements de droite que de gauche.
Il est opposé à ces systèmes de Direction à deux têtes, avec un Président d’un bord, et un Directeur Général de l’autre bord, qu’il a eu à connaître parfois, et dont il a constaté, dit il « les ravages ». Pourvu qu’il soit entendu, car plusieurs entreprises publiques en sont encore là aujourd’hui.Et puis il nous a donné en 5 points les ingrédients de sa méthode de gestion du changement. Elle a peu changée entre la RATP et La Poste., sauf qu’il a fallu aller plus vite à La Poste.
Alors, cette méthode ?
- Donner une Vision, un projet et des valeurs : tout ça, la Poste en était dénuée lorsqu’il est arrivé, nous dit il.Il nous encourage à bien peser en amont ces ingrédients de la réussite, plutôt que de succomber à la frénésie de l’action, des projets en désordre, dont on ne connaît pas le but qu’ils servent. Tout le temps passé sur l’amont est clé pour réussir. Cette vision, il faut la communiquer, l’expliquer, et on sent combien il aime personnellement le faire ; il a rencontré, au cours de conventions et réunions diverses, plus de 10 000 personnes par an pour cet exercice – rappelons que La Poste, c’est 280 000 personnes en France.
- Mettre en place un management décentralisé par métier : La décentralisation, la délégation, les business units, c’est la marque de fabrique de Jean-Paul Bailly. Ce fonctionnement fait le pari que la responsabilité est plus efficace que la soumission. La Poste est aujourd’hui clairement organisée par métiers, et les niveaux hiérarchiques ont été ramenés à trois (national, territorial, établissement). Je me rappelle encore y avoir connu jusqu’à 7 ou 8 niveaux il y a quelques années, sans que cela choque personne ; j’entendais toujours : "La Poste, c’est compliqué, vous ne pouvez pas tout simplifier" ; aujourd’hui le bon sens a montré que, si, la simplification, c’est simple.
- Mettre en place un style de management « 3 S » – Sens, Soutien, Suivi : "A La Poste, un bon manager est celui qui fait progresser ses collaborateurs".C’est simple là aussi, mais on a plaisir à l’entendre. On connaît tellement de gens qui pratiquent l’inverse.
- Organiser le dialogue dans l’entreprise : Pas seulement avec les syndicats, mais en créant toutes les occasions de rencontres, d’échanges. Cette passion pour le dialogue, c’est là encore une caractéristique forte, qu’il a rôdée à la RATP, et qu’il poursuit aujourd’hui.
- Avoir des alliés : Il parle ici des élus locaux, qui ont traditionnellement été pris de haut par La Poste, à qui on expliquait les projets, mais sans écouter les propositions ou objections. Aujourd’hui, il sent que le dialogue, la concertation, avec les élus locaux permet de faire des changements et transformations qu’il n’aurait pas imaginé, dans la gestion des implantations de bureaux de poste notamment.
Oui, tout ça a l’air bien simple. Ça fait un peu auto-promotion, bien sûr. Et certains n’ont pas manqué de lui rappeler d’autres réalités : les lettres en retard, les files d’attente au guichet, … Eh, Ho, Président, ça ne marche pas si bien que ça La Poste !
Sans perdre son calme, Jean-Paul Bailly nous a répondu point par point, avec précision : des progrès ont été fait (les retard, ça va mieux, 80% des lettres arrivent en 48 heures), mais, c’est sûr, il y a encore plein à faire, il ne s’en cache pas. Ainsi, pour les files d’attente, ne faudrait il pas revoir les processus administratifs en guichet, qui incluent de multiples manipulations de papiers et de feuilles carbonées, et qui rendent très lent le service ? On se demande pourquoi on n’y a pas pensé plus tôt.
Mais, bon, on sent que c’est bien parti. Et on lui souhaite bonne chance.
Pour une fois, c’est le Service Public qui nous donnait des leçons, et c’était réjouissant. De nombreux dirigeants du secteur privé pourraient s’en inspirer, non ?


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