La chronique de Jean-Marc Le Gall dans Le Monde daté du 30 janvier dernier avait pour thème un sujet dont on parle beaucoup dans les discours d’entreprise : la confiance.
En effet, quel manager ou dirigeant ne rêve pas de cette valeur inestimable de "confiance collective" parmi ses collaborateurs, cette solidarité qui donne envie de faire ensemble des grandes choses, de toujours s’entraider, le bonheur quoi..
" Nouveau vocabulaire de la mobilisation, la confiance a l’avantage de paraître humaniser l’entreprise, en instrumentalisant une vertu qui relève habituellement de l’appréciation personnelle et du libre arbitre de chacun. Pourtant, "la confiance, ça ne s’explique pas", entend-on fréquemment, manière de souligner qu’elle ne peut se décréter, étant considérée comme la résultante d’une relation vécue au jour le jour, à travers les décisions et les comportements observés."
La confiance, on l’a compris, notre chroniqueur…ne lui fait pas trop confiance.Ce qu’il met en doute, c’est cette croyance qu’elle est une affaire de comportement.
"Faire reposer la confiance sur le seul comportement des dirigeants ne suffit pas, car s’ils changent, tout peut être remis en question".
La chronique s’arrête là, et n’évoque pas de solutions concrètes.
Mais il est facile de la prolonger, tant ce sujet est d’actualité dans les entreprises et organisations, sans parler de la situation politique actuelle, où tous les candidats se transforment en KAA pour nous dire, comme à Mowgli, "Aie Confiance !"…
En fait l’entreprise où la confiance a disparue, voire même n’a jamais existée, on sait bien comment elle est organisée, ses pratiques sont facilement reconnaissables :
– il y a toujours un manager qui veut contrôler tout ce que vous faites,
– il y a toujours un manuel de procédures volumineux qui explique ce qu’il faut faire dans toutes (toutes ?) les situations,
– on peut virer les personnes, ou les sanctionner, notamment les managers, sans avertissement,
– on y tient de nombreuses réunions où la plupart ne sont pas conviés; seuls quelques "happy few" sont dans le secret,
Oui, ces manières de faire, elles cassent toute possibilité de confiance, et les discours sur les valeurs et la confiance des chefs ne serviront à rien, sauf à rendre encore plus méfiants les salariés.
En fait, baser le fonctionnement de l’entreprise sur la confiance n’est pas une affaire de discours, mais une véritable révolution du management, que nombreux n’ont jamais commencée.
Les comportements, les style de leadership, la culture, ont un rôle important.
Mais l’architecture de l’organisation est aussi un facteur-clé. Robert Bruce Shaw, dans son ouvrage "Trust in the balance", a bien synthétisé ce point, et est une référence utile pour ceux qui se trouvent confrontés à ce problème de manque de confiance dans leur entreprise, ou dans leurs équipes.
Cette liste est aussi un bon test de la vérité sur la capacité de l’organisation à stimuler la confiance.
Elle comprend six points :
1. Fixer des objectifs opérationnels trés aggressifs : Le meilleur moyen de fondre les individualités dans un but commun et partagé est de fixer un but, un rêve, une vision (on y revient), qu les collaborateurs veulent atteindre collectivement. Attention cependant de ne pas fixer des buts qu’on ne sentirait pas capable d’atteindre, qui ne soit pas assez crédible; cela risquerait alors de créer la suspicion. En fait, cette étape de fixation des objectifs est sûrement la plus délicate.
2. Aligner les engagements de chacun par rapport au niveau de performance fixé :Les organisations où se développent des relations de confiance entre les collaborateurs sont celles où chacun connaît ses responsabilités et celles des autres; où les indicateurs qui mesureront les contributions sont clairs et suivis.Il ne s’agit pas de mettre en place des tableaux de bord sophistiqués, ni de définir à chaque niveau comment il faut faire pour atteindre les objectifs, mais au contraire de fixer les points de repère importants, qui laisseront ensuite la place à l’initiative individuelle et collective pour atteindre ces objectifs;
3.Créer des structures véritablement responsables : Les entreprises où se développe un sentiment général de méfiance sont celles où les unités opérationnelles, et notamment celles le plus proche du client ou de la production, sentent piégées entre des objectifs de performance qui leur tombent sur le dos sans discussion, et le manque de moyens ou d’autorité qui leur sont délégués.Cela ne peut que créer de nombreuses frustrations, et faire beaucoup de dégâts. En fait, la solution organisationnelle, et nombreux dirigeants l’ont compris, consiste à créer des unités le plus autonomes possibles, maîtres de leurs moyens et modes d’action, ce que l’on appelle les Business Units dans les grands groupes; mais ce principe s’applique aussi lorsqu’il s’agit de faire fonctionner des unités plus petites : pour les rendre efficaces, pourquoi ne pas les couper en deux ou trois groupes autonomes ? Celà est d’autant plus facile bien sûr que le point 1 sur le but commun est bien appliqué. Car il serait tout aussi dangereux de laisser une multitude d’entités autonomes fonctionner de manière complètement incohérente et sans éthique commune, comme on l’a vu lors la crise, par exemple, chez Altran.
4. Assurer les meilleurs talents : c’est une évidence, mais on l’oublie parfois : pour faire fonctionner une telle organisation basée sur la confiance, avec les niveaux de décentralisation des responsabilités qui vont avec, il n’est pas possible d’avoir des collaborateurs médiocres. Les entreprises qui s’engagent dans cette voie sont donc trés soucieuses de mettre en place les processus qui permettent d’acquérir et de développer les meilleurs talents. Trois facteurs clés y contribuent :
– le process de recrutement, sélection, et aussi la politique de mobilité interne, qui permet de faire diffuser la culture, les comportements, les valeurs, les bonnes pratiques partout dans l’entreprise, de manière transversale;
– le process de développement, de formation, de gestion des carrières,
– le process qui permet de prendre les décisions dures envers ceux qui ne correspondent pas aux exigences de performance ou de comportement de l’entreprise : gérer trop durement, ou au contraire ne jamais oser prendre de décisions sur ce terrain, dans les deux cas c’est le signe que l’on est en train de tuer doucement la confiance des autres, ceux qui ont l’impression qu’on tolère trop de médiocrité dans leur environnement professionnel, ou que leurs managers sont des lâches, ou des salauds.
5. Mettre en place et maintenir des systèmes de partage d’information : la dissimulation, le secret, voire pire, le mensonge, tout ça, on le sait, c’est pas très bon pour la confiance.Les organisations performantes sont plutôt celles où les informations, les données financières sur les résultats, circulent facilement, et notamment entre les niveaux hiérarchiques directs. On ne parle pas ici seulement des systèmes informatiques, ou "décisionnels", mais des pratiques de management, de dialogue, et aussi du développement de la culture économique, de la pédagogie sur les mécanismes financiers de l’entreprise.
6. Instituer les contrôles stratégiques rigoureux minimum : on ne parle pas ici de mettre en place des contrôles tâtillons sut tout et n’importe quoi, mais au contraire de sélectionner les règles minimales qui feront la bonne gouvernance de l’entreprise, qui garantiront l’excellence, l’éthique. Le rôle du conseil d’administration, des administrateurs indépendants, des comités d’audit ou des rémunérations , tous ces dispositifs contribuent aussi à cette organisation de confiance.
Ces six principes ont l’air simples, mais c’est justement quand l’un d’eux n’est pas respecté que la confiance disparaît.
Ils nous rappellent que la confiance commence par la définition de l’organisation elle-même : ces principes sont le moyen de libérer les réserves de confiance dans l’entreprise, celles qui lèveront toutes les résistances au changement ou à l’innovation qui empêchent d’atteindre les objectifs de performance.
Ils nous alertent aussi sur tous les faux remèdes basés sur les discours, les séminaires de toutes sortes, les armadas de coachs appelés à la rescousse. Tous ces moyens ne pourront être utiles qu’une fois les bases organisationnelles saines en place.
Ce travail d’architecte, il est de la responsabilité du dirigeant, du conseil d’administration, du comité de direction : l’oublier, et s’en remettre aux marchands de paroles pour faire venir la confiance, c’est comme de souffler sur la maison des trois petits cochons : elle s’écroule…..

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