Dans les plans et programmes d'action des comités de Direction, on parle souvent d'excellence et d'efficacité opérationnelle. C'est même devenu ce qui semble distinguer les entreprises performantes des autres. Les techniques pour y arriver sont multiples, les consultants les connaissent par coeur, et sont leurs meilleurs agents propagateurs dans les entreprises : benchmarking, "lean management", etc…
Je suis souvent interpellé sur le thème : "Que font les meilleures entreprises en matière de …", et on y va de la discussion sur ce qu'on appelle "les meilleures pratiques" (on dit aussi "best practices" car il est chic d'utiliser des expressions anglo-saxonnes dans ces cercles).
Il en résulte une frénésie, dans ces entreprises, à se copier les unes les autres, avec l'angoisse qu'une autre entreprise pourrait savoir des choses que l'on ne sait pas soi-même, comme un secret alchimique. Bien sûr, les consultants prospèrent sur ces angoisses; surtout quand on s'aperçoit qu'il n'existe aucun secret, finalement.
Cette recherche de l'efficacité maximum, elle se propage dans tous les niveaux de management de l'entreprise, et se traduit souvent par la peur de faire des choix : on est prêt à imiter tout et n'importe quoi chez les compétiteurs, sur la simple justification d'une course à ces "best practices". Cela conduit à une recherche de "la performance" comme un graal. Et d'ailleurs tous les systèmes de rémunérations variables sont construits sur l'atteinte de cette "performance". Au nom de la "flexibilité", on se dit prêt à répondre à toute demande d'un client, ou d'un distributeur.
En fait, avec une telle focalisation sur "l'efficacité opérationnelle", toutes les entreprises finissent par se ressembler, et n'arrivent pas à faire la différence dans la compétition, perdant ainsi les avantages de compétitivité qu'elles croyaient obtenir.C'est d'ailleurs souvent la raison de ces courses à l'acquisition de ses concurrents qu'entreprennent les entreprises dont les seules idées stratégiques sont de toujours se rapprocher d'une sorte de "frontière de la productivité" (que Porter définit comme la somme théorique de toutes les bonnes pratiques dans toutes les activités). Malheureusement cette frontière s'éloigne constamment, et personne ne l'atteint jamais. De plus, certaines fonctions, surtout les plus administratives, s'outsourcent pour pouvoir être effectuées dans les conditions les plus proches de cette frontière.
Que reste-t-il alors pour faire vraiment la différence : eh oui, la stratégie, le positionnement, les travailleurs du savoir, ceux qui ne sont pas seulement valorisés par la notion de "productivité".
C'est le credo précisément de Michaël Porter, qui a consacré ces dernières décennies à la recherche sur les fondements de la compétition. Cela date des années 80, avec "competitive strategy", les cinq forces des marchés, l'analyse de ce qui constitue l'avantage concurrentiel (différenciation, domination par les côûts),.. Son dernier ouvrage "On Competition", qui reprend des articles qu'il a publiés ces dix dernières années, continue et approfondie ces sujets.
Alors que l'efficacité opérationnelle consiste à éxécuter les mêmes activités que ses concurrents, en mieux, la stratégie, elle, consiste à éxécuter des activités différentes, ou les mêmes activités différemment, que ses concurrents.
Porter se lamente du faible intérêt des entreprises pour la stratégie, et cherche les explications.
L'une d'elle est particulièrement intéressante à rappeler en ce moment : ce qui empêche de définir et d'éxécuter une stratégie, c'est la croissance.
Se lancer dans des choix de cibles de clients, pour servir certains clients et pas d'autres,n'est-ce pas se fermer des sources de revenus ?
Vouloir appliquer une stratégie de différenciation en maintenant des prix élevés, n'est-ce pas se fermer le marché des clients qui sont sensibles aux prix, et qui risquent d'aller ailleurs ?
C'est pourquoi une stratégie de croissance, c'est toujours plus de lignes de produits, toujours plus de clients et de diversification…
Dans une telle approche, les taux de profit ont tendance à se réduire, et l'avantage compétitif de l'entreprise se noie dans un portefeuille d'activités et de produits qui ressemble de plus en plus à celui des autres.
Alors, en ce moment, la croissance tous azimuts, c'est moins dans le vent. Je participe à des réflexions chez mes clients où on parle plutôt de scénarios de baisse d'activité, de croissance négative.
Ce moment de désoûlement, n'est-ce pas le bon moment pour prendre un peu de recul sur la course à la croissance et à l'efficacité opérationnelle; n'est-ce pas le bon moment de compléter tout ça, pour rétablir l'équilibre par la remise en question de notre positionnement stratégique, de notre différenciation.
N'est-ce pas le moment d'imaginer de nouvelles initiatives et de nouveaux mouvements stratégiques, car il est probable que les changements que nous annoncent 2009 ne permettront pas de revenir à l'identique , comme avant, une fois la crise passée. Car il est peu probable que la fin de la crise correspondra à une reprise de l'immobilier et des subprimes, combinée à un regain du capitalisme financier. Non, il est plutôt probable que l'on va passer à autre chose.
Alors, ce retour de la stratégie, il est peut-être pour demain…
Autant s'y intéresser tout de suite, alors..
2009 sera peut-être alors l'année où nous avons décidé de faire les choses autrement, différemment, et où nous avons commencé une nouvelle destinée.

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