Corporation La responsabilité sociale, c’est le mot chic pour parler de l’entreprise responsable.

C’est l’entreprise qui, pour prendre des décisions et évaluer sa performance, prend en compte des critères non strictement financiers tels que l’environnement, le bien être de ses employés, les conditions de travail, le respect des droits humains et sociaux,…

On se demande quelle entreprise oserait se démarquer de tels discours, même si il semble que cette fièvre touche plus les pays protestants et anglo saxons que les latins. Une faute sur la responsabilité sociale dans un pays protestant, et c’est la chute libre de la réputation, tant parmi le public et les clients que parmi les investisseurs. Il semble que dans les pays latins, on communique, mais finalement c’est un critère moins sensible dans la réalité pour la réputation.

Le Monde rendait compte dans son supplément Economie de mardi 22 janvier du prix  remis par le Forum pour l’investissement responsable (FIR), qui récompense des travaux de recherche et des publications sur ce sujet de la responsabilité sociale de l’entreprise.

Le prix du meilleur article a été attribué à Giacinta Cestone et Giovanni Cespa, deux professeurs de l’université de Salerne (Italie) sur un sujet formidable : et si les dirigeants qui invoquent la responsabilité sociale et tentent de s’attirer la sympathie des ONG protectrices de l’environnement et des salariés le faisaient pour masquer leur incompétence et leur innefficacité à diriger correctement (c’est à dire rentablement) leur entreprise ?

Quelle audace ! On n’osait pas le dire. Pourtant l’enquête qu’ils ont menée est cruelle, apparemment. Elle concerne des dirigeants qui sentent leur incompétence, et leur risque de se faire éjecter de leur poste par le conseil d’administration, c’est à dire les actionnaires, et qui vont jouer de manoeuvres diverses pour rameuter les "stakeholders" (encore eux), et les médias sur la chanson : mes actionnaires sont des méchants, moi je suis le bon patron qui est tout gentil avec la nature et ses gentils employés, tout en emmenant son entreprise au fond du gouffre.

Ce qui est dénoncé ici, c’est en fait la fraude à la responsabilité sociale..Et aparemment ça marche assez bien; ils citent par exemple l’échec de l’OPA de Krupp-Hoesch sur Thyssen qui a échouée grâce à ce genre de manipulation.

C’est vrai que cette sorcellerie semble diablement efficace; qui oserait accuser d’imposteur un dirigeant qui clamerait autant sa responsabilité sociale ? Aprés tout, les profits, c’est sale, pas important, non ? ça n’intéresse que les cochons de financiers…

Alors Marie-Béatrice Baudet, qui a interrogé pour le Monde ces deux lauréats diaboliques, pose LA question qui nous brûle les lèvres :

"Comment éviter les dérives que vous évoquez ?"

Et oui…

La réponse n’est pas trés encourageante, car elle ne propose pas de véritable antidote :

"En formalisant du mieux possible les codes éthiques, de bonne conduite et de responsabilité sociale, afin de ne pas les laisser à la seule discrétion des cadres dirigeants. Car ceux-ci peuvent, comme nous le montrons, avoir la tentation de les instrumentaliser".

En fait, cela veut dire qu’il faut contrôler (les actionnaires ? ou la police ?) les dirigeants qui sont vraiment des gros menteurs et manipulateurs…

Je ne sais pas si c’est cette idée qui a séduit le jury (comprenant des représentants d’entreprises et des professeurs), mais cette histoire de code, qui peut y croire ? Il faut être un peu naïf pour croire que ce sont les codes qui changent les comportements. Comme si l’on disait que c’est le code de la route qui fait changer les comportements au volant et les accidents !

Je ne connais pas Salerne, mais mes souvenirs de la circulation en ville en Italie me font croire que ça ne doit pas être différent de chez nous (voire pire diront certains) dans le pays de Giacinta et Giovanni .

Alors là on parle de "code éthique" : ça va être le nouveau truc à la mode pour parler de l’entreprise; on voit d’ailleurs de plus en plus de "directeur de l’éthique" dans les organigrammes. J’ai eu la chance d’en rencontrer une (oui, une femme) dernièrement; elle était justement en train de faire une super plaquette avec couverture cartonnée et plein de photos sympas, sur le sujet…ça doit coûter cher ce genre de document, mais, forcément, l’éthique, ça n’a pas de prix…

Ce qui est sûr, c’est qu’il ne suffit plus de raconter n’importe quoi sur la responsabilité sociale pour être au chaud; si même les chercheurs viennent chercher des histoires, ça va être plus dur…Et les directeurs de l’éthique qui reprennent la propagande…

Reste que ce genre de recherche et de lauréats ne va pas contribuer à arranger l’image de l’entreprise, encore une fois…Quand même, tous les dirigeants ne sont pas ces menteurs manipulateurs…

Et derrière ces recommandations anodines de mieux contrôler et formaliser les "codes éthiques", on n’ose imaginer les perspectives de bureaucratisation et de chicaneries qui peuvent en sortir…

Encore une fois, cela démontre aussi le poids de plus en plus fort des actionnaires sur les dirigeants à qui on n’autorise plus n’importe quoi…

Une profession doit se réjouir de ces discussions : celle des auditeurs, consultants, et agences de cotation et de communication en tous genre…qui vont se dépêcher de proposer tout ce qui va bien en terme de "formalisation"…

Comme d’habitude : le malheur des uns fait le bonheur des autres….

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3 réponses à « La responsabilité sociale cache-t-elle l’incompétence ? »

  1. Avatar de FJM
    FJM

    et est ce que le malheur des uns et le bonheur des autres réalisent un équilibre positif (vers le haut)?

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  2. Avatar de sylvain
    sylvain

    Effectivement, bon nombre d’entreprises réalisent des actions RSE dans le but de répondre stricto-sensu aux contraintes réglementaires (rédaction d’un rapport RSE, code éthique, code de déontologie…). Bien que le produit fini de la RSE soit un rapport annuel dédié, limiter la RSE à cette dimension com’ ne permet pas de sensibiliser les salariés et actionnaires dans ce nouveau processus de création de valeur.
    Ces entreprises se trompent de cible car elles n’ont pas saisi l’opportunité d’associer le thème de la RSE à leur stratégie : au lieu de l’appréhender sous un aspect contraignant (loi NRE, norme ISO…), les entreprises doivent intégrer ce thème à leur stratégie et à leur outil de pilotage (scorecard dédié à la RSE avec des indicateurs sociaux et environnementaux, reporting RSE, groupes de travail dédiés, enrichissement de la cartographie des risques avec une approche plus globale…) afin de véritablement ressentir les bienfaits d’une telle politique RSE.
    La production de codes éthiques ou de guides comportementaux n’a effectivement jamais fait évoluer les mentalités : celles-ci n’évoluent que lorsque l’importance de ces nouveaux enjeux est clairement explicitée à chacun.
    Induire de la RSE dans le quotidien de chacun au niveau de ses objectifs et non juste au niveau de la communication donne une envergure stratégique, qui se trouve être non négligeable à l’orée d’une ère tournée vers le respect de l’environnement et vers une croissance responsable et pérenne.

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  3. Avatar de Tanguy

    ça me fait penser à ce trader qu’on interviewait hier, sur France 5. Face aux airs révoltés des journalistes (cfr affaire en cours chez Société Générale), il répondait : « oui mais un bon trader a normalement un devoir éthique ». Un journaliste lui demande alors ce qu’il entend par « devoir éthique ». Et imperturbable, le garçon répond : « bien gérer le portefeuille de son client ». Dommage que personne ne lui ait signaler que bien gérer le portefeuille de son client, ce n’est pas un devoir éthique, c’est simplement son job… L’éthique, ça touche à des choses bien plus existencielles et humanistes. Je crains qu’à force de clamer partout que la finance est un monde de « requins », ne pas mettre le doigt dans son nez est déjà un acte de bravoure éthique pour un certain nombre de gens. Ce ne serait pas une mauvaise idée qu’on convie des philosophes aux tables des discussions sur l’éthique en entreprise, histoire de remettre de l’ordre dans les concepts. Bon, si on commençait par des moralistes, ce serait déjà un bon début…

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